L'ICTÈRE
DEFINITION
Coloration jaune généralisée des tissus causée par une augmentation de bilirubine dans la circulation sanguine (hyperbilirubinémie).
La bilirubine est le produit de dégradation de l’hème de l’hémoglobine. Celle-ci peut être présente dans le plasma (bilirubinémie) sous forme libre ou sous forme conjuguée. On distingue trois principaux types d’ictères :
-
L’ictère pré-hépatique : causé par une destruction des hématies (hémolyse) et principalement dû à une augmentation de la bilirubine libre dans le sang.
-
L’ictère hépatique : causé par une atteinte hépatique pouvant être lié à une augmentation de la bilirubine libre et/ou conjuguée dans le sang.
-
L’ictère post-hépatique : causé par une stase biliaire extra-hépatique et conséquence de l’augmentation de la bilirubine conjuguée dans le sang.
Un seul type d’ictère peut être présent ou plusieurs peuvent être associés : on parle alors d’ictère mixte. L’intensité de la coloration jaune est corrélable au degré de l’hyperbilirubinémie. Macroscopiquement, la coloration va du subictère (discrètement jaune) à l’ictère franc (franchement jaune) voire l’ictère flamboyant (couleur orangée due à une composante congestive).
Schéma du métabolisme de la bilirubine
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_518f914f817d45dd80a126d25a4adc21~mv2.png/v1/fill/w_600,h_432,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_518f914f817d45dd80a126d25a4adc21~mv2.png)
En condition physiologique, les hématies sont phagocytées par des macrophages, principalement au niveau de la rate et de la moelle osseuse. L’hémoglobine est ensuite dégradée :
-
La partie purement protéique (globine) est catabolisée en acides aminés qui seront redistribués.
-
Le fer de l’hème est soit exporté, soit stocké sous forme d’hémosidérine.
-
Le noyau tétrapyrrolique est dégradé premièrement en biliverdine puis en bilirubine libre.
Une fois dans le sang (bilirubinémie), cette bilirubine libre, hydrophobe, se lie à une albumine afin d’être transportée au foie. Les hépatocytes sont responsables de la conjugaison de cette bilirubine libre pour donner de la bilirubine conjuguée, hydrosoluble. Cette dernière est excrétée dans la bile et emprunte les voies biliaires (des canalicules biliaires hépatiques au canal cholédoque) pour être déversée dans les intestins.
La bilirubine conjuguée est alors à l’origine de deux autres pigments : le stercobilinogène et l’urobilinogène. Le premier sera ensuite converti en stercobiline, un pigment marron qui donne sa couleur aux selles. Le second est réabsorbé et filtré dans les urines, dans lesquelles il sera transformé en urobiline, pigment jaune responsable de leur coloration normale.
NB : les néphrocytes du chien sont capables de réaliser une conjugaison de la bilirubine libre lorsque celle-ci présente une grande concentration plasmatique.
PATHOGENIE & ETIOLOGIE
Les ictères sont le reflet d’une hyperbilirubinémie, soit en bilirubine libre, soit en bilirubine conjuguée, soit des deux. Chaque catégorie d’ictère présente sa propre pathogénie.
Ictère pré-hépatique :
Dans de ce type d’ictère, on distingue deux causes principales à l’origine d’une hyperbilirubinémie : l’hémolyse intratissulaire et l’hémolyse intravasculaire. Il s’agit le plus souvent d’un subictère.
L’hémolyse intratissulaire
Il se produit une dégradation exagérée des hématies par les macrophages tissulaires (principalement au niveau de la rate, dans une moindre mesure au niveau du foie). Cela engendre une hausse importante de la bilirubine libre dans le plasma (hyperbilirubinémie) qui devient alors jaune-organgé.
La majeure partie de cette bilirubine libre va être conjuguée au niveau des hépatocytes, mais comme ces derniers sont saturables lors de trop forte hyperbilirubinémie, une autre partie peut rester circulante dans le plasma. Une hyperproduction de bilirubine conjuguée survient et par voie de conséquence, une hyperproduction de stercobiline et d’urobiline formant des selles et des urines surcolorées. Les voies biliaires étant également saturables, de la bilirubine conjuguée peut être finalement libérée dans la circulation sanguine. La bilirubine libre étant hydrophobe, elle n’est pas retrouvée dans les urines, sauf chez le chien dont les néphrocytes sont capables de la conjuguer.
NB : on peut également retrouver une hémosidérose tissulaire du fait d’une augmentation du catabolisme de l’hémoglobine.
Schéma des mécanismes de formation d’un ictère pré-hépatique ayant pour origine une hémolyse intratissulaire
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_14a1d967d02d4af7bf8de13402be323f~mv2.png/v1/fill/w_599,h_443,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_14a1d967d02d4af7bf8de13402be323f~mv2.png)
L’hémolyse intravasculaire
Les hématies sont lysées dans les vaisseaux. Il y a alors libération d’hémoglobine (hémoglobinémie) dans le plasma qui apparait rouge vif.
-
Une partie va être captée par une protéine plasmatique (l’haptoglobine) puis dégradée par le système phagocytaire mononucléé pour aboutir à la formation de bilirubine libre.
-
Une seconde partie va être directement filtrée dans les urines. Les néphrocytes sont capables de capter cette hémoglobine afin de la cataboliser en bilirubine libre. Ces cellules stockent également le fer sous forme d’hémosidérine mais elle est toxique. Les néphrocytes peuvent alors se nécroser et de l’hémosidérine est libérée dans les urines (hémosidérinurie) à l’aspect marron. Lors de très forte atteinte, les néphrocytes ne peuvent pas capter toute l’hémoglobine filtrée. Une partie est alors oxydée et libérée dans les urines (hémoglobinurie) qui apparaissent noire.
Face à la hausse de bilirubine libre plasmatique (en provenance des néphrocytes et des macrophages), les mêmes mécanismes qu’en cas d’hémolyse intratissulaire se mettent en place.
Schéma des mécanismes de formation d’un ictère pré-hépatique ayant pour origine une hémolyse intravasculaire
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_9547bcdc06f1480fb9f324a4c6579663~mv2.png/v1/fill/w_599,h_442,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_9547bcdc06f1480fb9f324a4c6579663~mv2.png)
Exemples de causes :
-
Anémie hémolytique à médiation immune primaire (idiopathique) ou secondaire (infectieux, médicamenteux notamment les pénicillines et les cephalosporines etc.)
-
Infectieuse : Ehrlichia canis, Babesia canis, Babesia felis, Mycoplasma hemocanis, Mycoplasma haemofelis, Dirofilaria immitis etc.
-
Toxique : paracétamol chez le chat, oignon chez le chien, métaux (cuivre, zinc), certains antibiotiques, venins
-
Anomalie membranaire ou fonctionnelle (déficit enzymatique) des hématies
-
Syndrome de fragmentation : CIVD, hémangiosarcome, syndrome urémique
-
Hypophosphatémie
Ictère hépatique :
Les ictères hépatiques apparaissent lors d’atteinte hépatique, lorsque le foie ne remplit plus son rôle correctement dans le métabolisme de la bilirubine. Ce sont généralement des ictères francs. Il peut s’agir :
-
D’une atteinte fonctionnelle des hépatocytes qui ne peuvent plus suffisamment capter la bilirubine libre plasmatique et/ou la conjuguer. La conséquence est une accumulation de bilirubine libre dans le plasma qui est jaunâtre/orangé. Comme il y a défaut de production de bilirubine conjuguée, les selles et les urines peuvent être décolorées. Chez le chien qui peut la conjuguer au niveau des reins, les urines peuvent devenir orangées.
-
D’une cholestase intrahépatique peut être à l’origine d’un défaut d’évacuation de la bile provoquant son reflux et une libération de bilirubine conjuguée dans le plasma qui devient jaune/orange. La conséquence est un défaut de production de stercobiline et des selles qui peuvent être décolorées. Comme la bilirubine conjuguée est hydrosoluble, elle est excrétée directement dans les urines qui sont orangées.
Exemples de causes :
-
Inflammatoire : hépatite, cholangiohépatite, cholangite (neutrophilique ou lymphoplasmocytaire chez le chat).
-
Infectieuse : bactérien (leptospirose, salmonellose), virale (péritonite infectieuse féline (PIF) chez le chat, hépatite de Rubarth chez le chien), protozoaire (toxoplasmose, néosporose), parasitaire.
-
Néoplasie
-
Toxique : médicamenteuse (paracétamol, carprofène, azathioprine), cuivre
-
Cirrhose hépatique
-
Lipidose hépatique
Schéma des mécanismes de formation d’un ictère hépatique
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_5f2a7cd1008748219dce35729876aee4~mv2.png/v1/fill/w_600,h_419,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_5f2a7cd1008748219dce35729876aee4~mv2.png)
Ictère post-hépatique :
Les ictères post-hépatiques sont dus à une cholestase d’origine extrahépatique et sont généralement des ictères francs. Comme la bile ne peut plus s’écouler correctement, elle reflue dans le plasma libérant de la bilirubine conjuguée (il apparait donc jaune/orangé) mais également des sels biliaires (qui peuvent donner un léger aspect verdâtre à l’ictère). Comme ces molécules sont hydrosolubles, ils sont évacués dans les urines les rendant orange et mousseuses. Les selles, par défaut de stercobiline et de digestion de lipides, peuvent être décolorées et grasses.
Exemple de causes :
-
Obstruction intraluminale: cholélithiase, néoplasie, sténose du canal cholédoque, mucocèle, cholecystite.
-
Compression extra-luminale: pancréatite/entérite, néoplasie abdominale, obstruction de la papille (abcès, corps étranger, néoplasie), adénomégalie,
-
Rupture des voies biliaires
Schéma des mécanismes de formation d’un ictère post-hépatique
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_ad27273c2ea548d497bca2f6f7b4a55b~mv2.png/v1/fill/w_599,h_422,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_ad27273c2ea548d497bca2f6f7b4a55b~mv2.png)
ASPECT MACROSCOPIQUE
-
Couleur : variable (de discrètement jaunâtre à jaune franc/orangé)
-
Taille/Forme : diffus
-
Consistance : absence de modifications
NB : la coloration est plus facilement visible sur les tissus peu pigmentés comme la sclère, certaines muqueuses (buccale, génitale), une peau peu pigmentée, certains vaisseaux et parfois le tissu adipeux.
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_ae1d45b3f443408baaeb3dc448f72417~mv2.png/v1/fill/w_706,h_489,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_ae1d45b3f443408baaeb3dc448f72417~mv2.png)
Les photos (1,2,4) montrent un ictère franc visible dès l’examen clinique externe au niveau des coussinets, de la muqueuse buccale, de la sclère ou de la peau (tête de flèche) et l’image (3) révèle des lésions seulement visibles à l’autopsie avec une coloration jaunâtre diffuse des graisses, en particulier abdominales. https://noahsarkive.cldavis.org, photos F09215-F3206, Antonin Le Clainche promo 2020
ASPECT MICROSCOPIQUE
L’ictère est une lésion macroscopique. A l’histologie, on va pouvoir voir les lésions à l’origine de l’ictère. On peut observer par exemple au niveau du foie des signes de lipidose hépatique, une tumeur, une cirrhose, des signes de cholestase (comme des thrombi bilaires ainsi qu’une dilatation des canalicules biliaires) ou encore une surcharge en hémosidérine pour les hémolyses.
Tableau comparatif des différents types d'ictère
![](https://static.wixstatic.com/media/516625_eb23021048bb4ba1be3d03c44a07791b~mv2.png/v1/fill/w_728,h_468,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/516625_eb23021048bb4ba1be3d03c44a07791b~mv2.png)
L’Essentiel
-
L’ictère est une coloration jaune généralisée des tissus causée par une augmentation de bilirubine dans la circulation sanguine (hyperbilirubinémie).
-
Selon l’importance de l’atteinte, on distingue subictère, ictère franc et ictère flamboyant.
-
On discerne trois grandes origines des ictères :
-
L’ictère pré-hépatique : en lien avec une hémolyse (intratissulaire ou intravasculaire)
-
L’ictère hépatique : en lien avec une atteinte hépatique (fonctionnelle ou cholestatique)
-
L’ictère post-hépatique : en lien avec une cholestase extrahépatique.
-
-
En pratiques, ces ictères peuvent être associés : on parle d’ictères mixtes.
-
L’ictère est une lésion macroscopique, l’histologie permet de voir des lésions à l’origine de celui-ci.
-
En clinique, l’observation d’un ictère doit motiver des investigations complémentaires afin d’en déterminer la cause.